Eric Prié, l'interview Rock'n'Roll part 1
Interview intégrale d'Eric Prié par téléphone pour Echecs et Mag (Avril 99). Remerciement à Frédéric pour l'autorisation de publication.
Echecs & Mag : Pouvez-vous nous parler de votre premier contact avec le jeu d'échecs.
Eric Prié : Je ne peux pas vous dire à quand cela remonte puisque je n'ai pas souvenir que l'on m'ait appris à jouer. Dans ma jeunesse, parmi les amateurs ne jouant pas en club, je gagnais souvent. Mon premier contact avec les échecs de compétition eu lieu quand j'avais 13 ans en classe de 4ème : un de mes camarades jouait en club et m'a littéralement " massacré ". A partir de ce moment là, je suis rentré au club de Gagny et j'ai progressé rapidement. Un épisode m'a profondément marqué alors que j'étais parmi les meilleurs classés cadet de France :Largement en tête avec 5 sur 5 et complètement gagnant dans la 6ème et avant dernière ronde du championnat d'Ile de France, j'ai craqué et perdu mes deux dernières parties Je n'ai pas réussi à prendre la seule (!!) place qualificative en Ile de France pour Brest. C'était à la dure à l'époque! On peut pas dire juste par contre…Par la suite, j'ai bien figuré dans les juniors. J'étais dans les premiers. A l'époque, il y avait Santo-Roman, Lesky, Levacic. En 1981, j'étais le meilleur junior français mais il n'y a pas eu cette année-là de championnat de France ou alors pas à la bonne période pour servir de qualification ou alors les catégories étaient différentes chez les jeunes entre la France et la FIDE. Je ne me souviens plus, mais je me souviens que c'était légitime de me sélectionner pour le championnat du monde à Mexico avec Short, Salov, Ehlvest, Agdestein, Milos et Cvitan qui a gagné! J'ai fait 50% des points ce qui en ces temps reculés était considéré comme un exploit pour un français.
E&M : Avez-vous été appuyé par votre entraînement ?
E.P. : Pas du tout. J'avais des facilités. Aux vues de mes résultats scolaires, mes parents me voyaient déjà polytechnicien. Je ne travaillais pas beaucoup et avais de relativement bons résultats. Au lycée, cela a été plus dur parce qu'il fallait plus travailler et les échecs m'intéressaient beaucoup plus. Mes parents m'ont alors plutôt freiné dans cette passion. A cette époque, en France, il n'y avait pas de maître international, il y avait aussi très peu de tournoi. Il était donc difficile pour mes parents de penser que je pourrai un jour vivre des échecs. A ce niveau-là, je n'ai jamais été encouragé. Je n'ai jamais été très courageux dans l'effort, ni un monstre de volonté de toute façon.
E&M : Et vos premières normes ?
E.P. : En fait, tout a franchement commencé en 1981. Après, j'ai enchaîné les titres. Je fus champion de Paris en 1982 et 1983. Paris 1983 fut un tournoi très prestigieux. Cela s'appelait le tournoi des capitales. De nombreux joueurs étrangers avaient été invités. J'ai terminé premier français. Je possède quelques photos de la remise des prix. J'ai serré la main de Jacques Chirac. Il faut préciser que j'étais habillé en Punk.
En 1983, je suis tombé amoureux d'une fille. Comme elle ne voulait pas que je parte pour aller jouer aux échecs et j'aimais bien rester avec elle aussi, j'ai laissé de côté les échecs. J'ai fait alors mon service national. Après, j'ai été amené à travailler dans le transport funéraire. Ce n'est qu'en 1988 que je me suis rendu compte que les échecs étaient ce que je savais faire de mieux. J'ai donc repris les tournois et mon amie m'a quittée un an et demi plus tard…
E&M : Dans ma base, je n'ai pas retrouvé de parties antérieures à 1988 ?
E.P. : On en trouve dans la big data base dès 1981. J'ai retrouvé des parties de 1981 où je fus champion du Danemark junior. A l'époque, mon directeur technique était Jean-Claude Loubatière.
E&M : Ce n'est peut-être pas étonnant que vous soyez directeur technique National aujourd'hui ?
E.P. : Je le connaissais comme çà. Je n'ai pas souvenir d'avoir eu des rapports privilégiés avec lui à cette époque. C'était simplement pour dire que je le connais depuis longtemps.
E&M : Quelle la chose dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ?
E.P. : Peut on être fier de quelque chose indépendamment de la façon dont on l'a obtenu?. La chose dont je suis le plus content c'est clair, c'est mon titre de champion de France en 95. Mais je ne peux pas être fier de la manière dont je l'ai obtenu car j'aurais pu gagner ce tournoi normalement. C'est vrai j'ai commencé le championnat avec de la chance contre Santo-Roman et Renet après 2 années de poisse terrible dans ce tournoi en 93 et 94. Ensuite, j'ai gâché des parties contre Sharif et Degraeve. Il a fallu un coup de chance incroyable pour que je remporte le titre sans match de départage. J'étais très mal contre Bricard à la dernière ronde et j'ai gagné alors que tous les autres ont fait nulle. J'ai fais quasiment le plus petit pourcentage dans l'histoire de ce tournoi en 16 rondes.
E&M : et en dehors de échecs ?
E.P. : C'est ma fille Cécile. Vous pouvez retrouver sa photo dans un numéro d'Echecs et Mat de l'année dernière.
E&M : Comment les échecs pourraient-ils gagner en popularité ?
E.P. : En développant leur enseignement à l'école. Actuellement, cela se développe partout. C'est vraiment l'avenir. Par contre, les échecs ne seront jamais médiatiques. Avec le troisième millénaire, on peut espérer un retour aux valeurs de l'esprit. L'enseignement des échecs ne coûtent pas grand chose à l'établissement scolaire. Quand cela est mis en place, c'est très bien accueilli. C'est finalement une popularité plus en profondeur que par exemple le développement du jeu rapide. Le jeu rapide va se développer mais ce n'est pas celui-ci qui va apporter des adhérents aux clubs.
E&M : En créant des idoles françaises ?
E.P. : Je pense que cela est nécessaire. Nous avons des idoles en France, Bacrot et Lautier mais malheureusement elles ne rendent pas disponibles. Par exemple pour des simultanées, ils demandent beaucoup trop cher aux clubs. Finalement, ils ne jouent pas leur rôle. Pourtant la France les a beaucoup aidé. Par exemple, Kramnik est beaucoup plus disponible pour les échecs. C'est en fait mon idole. Son défaut est pour l'instant qui lui manque un peu d'énergie pour supplanter Kasparov ou Karpov. D'ici quelques années, on reparlera de Kramnik.
E&M : Et concernant Christian Bauer, notre qualifié au championnat du monde ?
E.P. : Il est trop irrégulier. Pourtant, il a une très grande confiance en lui, de bonnes capacités de calcul. Parfois, il joue des ouvertures trop fantaisistes et quand il n'est pas en forme, c'est la catastrophe.
E&M : Bauer fait partie de la jeune génération et on retrouve ces particularités chez Leko. Celui-ci a joué des ouvertures parfois hasardeuses.
E.P. : non, Leko a arrêté. Par le passé, il a en effet joué l'Alekhine. Cette attitude est caractéristique des adolescents. C'est le refus du conformisme. Christian Bauer a peut-être du mal à passer au professionnalisme. Souvent, les professionnels ont du mal à gérer leur carrière. Il n'ont pas le sens des réalités. Ils manquent de réalisme. Il faut savoir ce qui est bon pour soi. Il ne faut pas forcément voir l'avantage immédiat. Certains joueurs pratiquent des tarifs prohibitifs : il est impossible de les avoir dans les tournois. Ces gens sont pas sympas. Je ne dis pas cela pour Bauer.
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